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COMPRENDRE LA RELATION D'EMPRISE ET EN SORTIR

Bonjour,

je vous partage ce texte écrit par Mariette Strub-Delain.



Une précision avant de démarrer votre lecture : j’ai utilisé le plus souvent, dans cet article, le genre masculin pour parler des personnes qui cherchent à instaurer une relation d’emprise. Cependant, il est important de préciser que les femmes peuvent, elles aussi, initier une relation toxique.

Qu’est-ce que l’emprise ? Dans le champ du droit, l’emprise qualifie une mainmise de l’administration sur une propriété privée, l’action de prendre des terrains par expropriation. Dans son sens le plus courant, classiquement adoptée en psychologie, elle renvoie à une domination intellectuelle, affective et physique.

Lorsque l’on parle d’emprise, on parle de relation d’emprise. Ce qui suppose deux parties prenantes et un lien particulier et spécifique basé sur une relation de pouvoir qui s’exerce de façon abusive. La construction dialectique de la relation maître/esclave a besoin de cette médiation fondamentale qu’est la reconnaissance. C’est par la reconnaissance de l’esclave que se fait la place du maître.

L’étymologie du mot « emprise » est assez ancienne. Il vient du latin imprehendere (prendre), utilisé comme substantif du verbe emprendre (entreprendre). L’emprise réfère donc autant à une prise qu’à une entreprise et relève ainsi autant de la saisie que du projet. Au départ, le concept de prise était pensé à partir de l’idée de réciprocité. Or, on peut prendre plus que l’on ne donne ou donner plus que l’on ne prend sans que cela donne lieu à une dispute ou à un conflit.

Les configurations relationnelles sont multiples, cependant Il est possible d’imaginer, le continuum suivant :

Force destructrice -> Prise de possession -> Echange réciproque -> Offrande -> Force créatrice

Ce modèle peut nous aider à penser l’emprise, c’est-à-dire l’instrumentalisation de l’autre et l’impossibilité pour celui-ci de rompre la relation dans laquelle il donne plus qu’il ne prend. Rompre la relation est de l’ordre de l’injustifiable et supposerait un passage en force, un acte de rébellion ou de violence.

Qu’est-ce que l’emprise psychologique ? Quand on parle d’emprise émotionnelle ou psychologique, on entend une domination manipulatoire exercée par une personne sur une ou plusieurs autres, en vue de parvenir à ses fins. Le dominant s’empare de l’esprit ou de la volonté de sa (ses) victime(s), quand celle(s)-ci se déprend(nent) d’une partie d’elle(s)-même(s).

L’emprise psychologique n’est pas seulement réservée aux pervers narcissiques, dont on parle beaucoup dans le cadre du harcèlement.

De plus, tout le monde peut être victime d’une emprise psychologique, quel que soit son niveau socioprofessionnel ou intellectuel. Enfin, elle peut concerner tout autant la sphère professionnelle que personnelle et n’est pas une question de genre.

Regarder les synonymes du mot emprise nous apporte aussi un éclairage sur ce que recouvre cette relation particulière.

Liaison, rapport Ascendant, autorité, influence, pouvoir, pression, domination, prestige, puissance, supériorité, assujettissement Prestige, réputation, crédit, respect, considération, charisme Appropriation, usurpation, appartenance, saisie, mainmise, contrôle, empiètement Dépendance, annexe, appendice, complément, interdépendance, aide, appui, tutelle Influence, manipulation, attraction, attirance Séduction, charme

Comment savoir que l’on est sous emprise ? □ Vous vous sentez mal sans savoir vraiment pourquoi. Vous aviez toujours été en bonne santé et vous voyez votre santé se dégrader peu à peu : maux de tête, maux de ventre, maladies de peau, …

□ Vous vous sentez fatigué.e et en manque d’énergie et de vitalité.

□ Vous vous sentez triste et négatif.ve alors que vous êtes habituellement joyeux.se et positif.ve.

□ Vous vous isolez, vous devenez taciturne alors que vous vous connaissiez sociable.

□ Vous vous sentez coupable, anxieux.se et stressé.se et ce, plus que d’ordinaire.

□ Vous perdez confiance en vous et votre estime de soi est en berne. Vous vous sentez nul.le, vous avez le sentiment de ne pas être à la hauteur. Un sentiment de culpabilité et de honte vous étreint.

□ Vous commencez à perdre confiance dans votre entourage.

□ Vous vous sentez de plus en plus isolé.e. Vous vous éloignez de votre famille, de vos amis, alors que jusqu’ici vous aviez avec eux de bonnes relations.

□ Vos décisions vous échappent et vous avez tendance à vous en remettre à quelqu’un qui décide pour vous.

□ Vous avez un sentiment de dépersonnalisation (sentiment de ne plus être soi-même), vous ne vous reconnaissez plus.

□ Vous pouvez ressentir un sentiment de vide et développer des idées suicidaires.

Pourquoi est-on victime d’emprise ?

L’emprise est d’abord avant tout question de relation. Donc pour qu’il y ait emprise, il faut un prédateur et une victime. Cette relation est essentiellement une relation de dépendance, à laquelle la victime a inconsciemment souscrit.

L’objectif de ce paragraphe n’est surtout de faire porter aux victimes le poids de la culpabilité mais de repérer ce qui, chez elle, a donné prise à cette relation. C’est en effet le meilleur moyen d’en sortir et de ne pas y retomber.

Les personnes toxiques séduisent parce qu’elles repèrent une(des) faille(s), une(des) blessure(s), un(des) besoin(s) et en quelque sorte, tout au moins lors de la phase de « Lune de miel » (voir plus loin), elles y apportent une réponse voire un soulagement.

Quelles sont ces blessures, ces besoins ?

Lise Bourbeau, dans son livre « Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même » expose 5 blessures qui sont autant d’hameçons pour attirer des personnes perverses : la blessure de rejet, la blessure d’abandon, la blessure d’humiliation, la blessure de trahison, la blessure d’injustice.

1/ La blessure du rejet conduit la personne à avoir le sentiment de ne pas être acceptée, désirée, choyée, aimée. Elle ne se donne pas le droit de vivre. Un prédateur capable de lui apporter ce dont elle a besoin peut l’amener dans une relation d’emprise. Ses plus grandes peurs sont la panique, l’anéantissement, autrement dit, peur de sa propre mort.

Besoin d’être aimé et accepté tel qu’on est

2/ La blessure d’abandon laisse penser que l’on ne peut rien faire seul, qu’on a besoin des autres, de leur attention, de leur soutien et de leur protection. La solitude est sa peur la plus vive. C’est probablement la blessure qui appelle le plus sûrement les relations d’emprise, en se présentant dans le rôle de la victime.

Besoin d’affiliation et de protection

3/ La blessure d’humiliation engendre un fort sens du sacrifice, un sentiment d’indignité, de honte et une difficulté à écouter ses besoins et à être dans le plaisir. Sa plus grande peur est la liberté et se retrouver ainsi sans limites.

Besoin de valorisation et de se sentir libre d’agir à sa guise

4/ La blessure de trahison renvoie à la fidélité, à la loyauté, au sens du devoir. Cette personne a du mal à faire confiance mais a tendance à contrôler les autres, à aimer être regardée et aura une propension à devenir sauveur. Il a du mal à s’engager et à se désengager, à faire des choix. Ses plus grandes peurs sont la dissociation, le reniement et ma séparation.

Besoin de faire confiance et d’être digne de confiance

5/ La blessure d’injustice est le fait de se sentir sous-estimé, non apprécié, non reconnu et respecté à sa juste valeur. Le manque affectif est profond ce d’autant plus que ces personnes sont hypersensibles. Elles ont tendance à se dévaloriser et à se comparer aux autres. Elles recherchent la chaleur humaine. Pour cela, elles se veulent méritante, performante, parfaite, optimiste et sociables. Leurs plus grandes peurs sont la froideur, se montrer vulnérable et se tromper.

Besoin d’être reconnu à sa juste valeur et besoin de chaleur humaine. Qui sont les capteurs ? Il existe différents types de relations toxiques notamment selon le profil de personnalité de celui qui en est à l’origine mais aussi selon le contexte, …

Ici, je souhaite aborder la plus toxique d’entre elle, le pervers narcissique. Mais pour mieux l’appréhender, nous allons la distinguer de la personnalité manipulatrice, de la personnalité perverse et de la personnalité narcissique.

1/ La personnalité manipulatrice

Les qualificatifs « manipulateur relationnel », « manipulateur narcissique », « manipulateur pervers » sont souvent utilisés pour désigner les pervers narcissiques.

Or, tous les manipulateurs ne sont pas des pervers narcissiques. En effet, un manipulateur va utiliser la ruse pour parvenir à ses fins, mais sans chercher à blesser ou à nuire à l’autre.

En revanche, le pervers narcissique cherche à écraser l’autre, à le faire souffrir, même si, en général, il n’est pas conscient de sa pathologie.

La manipulation n’est ainsi qu’une des caractéristiques du pervers narcissique. Autrement dit : tous les pervers narcissiques sont des manipulateurs, mais tous les manipulateurs ne sont pas des pervers narcissiques !

2/ La personnalité perverse

On distingue deux grandes classes de perversion. Celle qui relève de la perversion d’ordre sexuel (en psychiatrie, on parle de paraphilies) et celle qui relève du moral et du relationnel. Parmi les paraphilies, on citera par exemple l’exhibitionnisme, le fétichisme, le frotteurisme (se frotter contre une personne non consentante), la pédophilie, le masochisme, le sadisme, le transvestisme, le voyeurisme, et quelques autres plus rares comme la nécrophilie ou la coprophilie.

La personnalité perverse a une conduite déviante par rapport aux règles et croyances morales de la société. Elle présente un comportement de cruauté et de malignité.

Elle est sournoise, séductrice, manipulatrice. Ses stratégies relationnelles inversent complètement les choses, les valeurs humaines sont ainsi disqualifiées au profit d’un culte de l’inhumanité, de l’insensibilité, une vision du monde matérialiste, basée sur le paraître, une vision du monde dénuée de sens, dénuée de vie.

La personnalité perverse cherche à dominer et à créer une relation d’’emprise sur l’autre afin de le déshumaniser et de l’exploiter. La violence psychologique et/ou physique dont le pervers fait preuve vise la destruction de l’autre dont il jouit avec un sadisme ou un masochisme moral (jouir de la souffrance infligée à l’autre ou de sa propre souffrance infligée par l’autre). Elle s’exprime de façon impulsive et au grand jour ; le pervers ne se cache pas derrière une apparence morale, des valeurs.

Ce comportement vise à projeter en l’autre la part clivée, inacceptable de soi-même (souffrance, émotions, ressentis, culpabilité, honte, amour, tendresse, …).

Cette personnalité lutte par le déni contre l’angoisse inconsciente de perte (perte de pouvoir, perte de l’être aimé, perte de statut, …).

Comment se construit une telle personnalité ?

Selon la psychanalyse Freudienne, à l’issue de la crise œdipienne, le sujet aura trois voies de résolution des conflits inconscients entre ses pulsions et l’éducation qu’il a reçue :

Les névroses, dont le mécanisme de défense spécifique est le refoulement Les psychoses, dont le mécanisme de défense est ce que Lacan appelle la « forclusion » Les perversions, dont le mécanisme de défense est le déni. Le déni est une fixation inconsciente qui intervient au moment particulier où l’enfant prend réellement conscience de la différence des sexes, notamment en s’interrogeant sur les différences anatomiques qui distinguent les hommes des femmes. Alors que pour le petit enfant la puissance symbolique semblait incarnée par sa mère, il constate qu’elle n’est pas pourvue de l’organe viril, il y a comme une absence. Or, pour certains enfants, cette différence apparaît insupportable, ils s’orienteront dès lors vers le déni, c’est-à-dire un refus d’admettre cette différence.

Dès lors, la vie pulsionnelle du sujet orienté vers la perversion va fonctionner sur un clivage qui va affecter foncièrement sa vie sociale et sexuelle :

Dans sa vie sociale, le sujet pervers se comportera comme tout un chacun et il pourra même être reconnu comme un citoyen exemplaire ou brillant, son Moi est réaliste et conscient ; Dans sa vie sexuelle, en revanche, le pervers ne pourra atteindre la jouissance (ou atteindre ce qu’il considère comme une vraie jouissance) qu’à certaines conditions qui dépendent de la nature de sa perversion. Si ces conditions entrent en conflit avec les lois sociales, il sera tenté de les transgresser ; il s’agit là du Moi qui est subordonné au principe de plaisir. 3/ La personnalité narcissique

Elle se caractérise par la volonté d’être admirée sans mesure (on parlera d’ego surdimensionné), en se sentant supérieure, en croyant être comprise seulement par les individus supérieurs comme elle.

Elle rabaisse les autres, les méprise, les dénigre, les culpabilise. Elle use de toutes les stratégies de manipulation pour paraître et réussir.

Comme la personnalité perverse, cette personnalité est sans empathie, déshumanisée et déshumanisante, mais son objectif n’est pas la jouissance à détruire. C’est le désir d’être reconnu et admiré, la volonté de paraître, de réussir, de briller, quitte à écraser les autres. Les techniques de manipulation et de séduction sont les mêmes, mais l’intention diffère. La personnalité narcissique croit que tout lui est dû et agit sans culpabilité. Le sentiment d’infériorité sous-jacent est nié.

4/ La personnalité perverse narcissique

Les anglo-Saxons préfèrent le mot « sociopathe ».

La personnalité perverse narcissique présente à la fois les traits de la personnalité perverse et de la personnalité narcissique. Il s’agit d’un fonctionnement pervers sur une personnalité narcissique. La personnalité perverse narcissique combine ainsi des caractéristiques séductrices et manipulatrices, une volonté de pouvoir, associée à des violences psychologiques et/ou physiques. Pour elle, la vie est manichéenne, il n’existe que 2 types de personnes : les dominants et les dominés, les forts et les faibles, les bourreaux et les victimes.

Elle lutte contre une angoisse inconsciente de persécution ou angoisse paranoïde. Elle attaque avant d’être attaquée et soupçonne l’autre de malveillance. Aussi, Elle ne perçoit les autres individus que comme des proies potentielles. Une fois sa victime choisie, elle va mettre en œuvre différentes stratégies de manipulation afin de l’asservir et de la garder sous son emprise. Elle ne reconnaît pas la différence, ne reconnaît pas l’autre comme sujet, l’autre n’existe pas ou est traité comme un objet ! La personnalité perverse narcissique est dénuée d’empathie, ne ressent ni culpabilité, ni remords, ni souffrance lorsqu’elle blesse les autres. Il y a de la « jouissance » chez le pervers narcissique à nuire, à blesser voire à détruire l’autre.

Le pervers narcissique mise tout sur le perfectionnisme, c’est à dire « l’aspect irréprochable » de sa personnalité sociale extérieure. Il n’a pas de personnalité interne propre, il a appris durant toute sa vie à mettre en place des masques, en étudiant les personnes autour de lui, en procédant par mimétisme. Il a besoin de mettre en place des relations de dépendance et d’emprise, dans la mesure où il identifie sa valeur à sa capacité de prise de pouvoir sur autrui. Il masque, par un jeu de miroirs, un profond vide d’âme et un manque d’humanité. Il n’est capable de réellement ressentir que des émotions négatives, qu’il utilise comme moteur vital.

Le pervers narcissique est profondément immature et égocentrique. Il a « une fragilité de l’estime de soi », « une faille narcissique ». L’image de soi est très dévalorisée. Il va donc se survaloriser, se donner l’apparence d’être supérieur aux autres, chercher à se faire admirer et ce, en rabaissant les autres. Il va nourrir son narcissisme du narcissisme de l’autre. Alberto Eiguer parle de « conquête du territoire psychique de l’autre ». C’est la raison pour laquelle, l’image du vampire est souvent utilisée pour décrire cette personnalité.

Il a verrouillé en lui toute faille pour se prémunir de son vide intérieur, de ses angoisses inconscientes de disparaître dans le néant et d’être détruit par l’autre. Il lutte contre un délire de persécution ou d’anéantissement qui le ferait basculer dans la psychose et non dans la dépression névrotique commune.

Plus il est proche de la psychose, moins il est calculateur. Plus il est proche de la névrose, plus il est stratégique, rationnel, machiavélique.

Il ne consulte pas (car il ne souffre pas) ou rarement sauf s’il perd tout pouvoir et est submergé par ses angoisses. S’il consulte, c’est pour gagner, par intérêt mais jamais pour se remettre en question. Les pervers narcissiques sont des malades mentaux asymptomatiques devant les médecins, donc difficilement décelables”. Ce type de profil ne consulte pas les “psy”, car il ne souffre pas et n’a pas conscience d’être malade ou nocif.

On rencontre ces profils le plus souvent aux plus hauts postes de pouvoir, même si les classes sociales plus modestes n’en sont pas exemptes. On observe que plus la position sociale est élevée, plus le jeu d’emprise et de manipulation est sophistiqué et difficile à déceler voire à dénoncer.

A contrario, les personnalités perverses ou narcissiques consultent lorsque perdant leur pouvoir, elles tombent en dépression.

A quoi reconnaît-on un pervers narcissique ?

Il est mégalomane, recherche l’attention et l’admiration. Il est égoïste et égocentrique. Il est obsédé par son image sociale et tient à être perçu comme irréprochable. Il transgresse les lois, les règles, la morale. Il n’a pas de limite. Il est indifférent à l’autre, à ses désirs, à ses besoins, à ses sentiments. Il n’a pas d’empathie. Il souffle le chaud et le froid : valorisation puis humiliation. Il manie l’ironie pour rabaisser l’autre. Il sert d’abord et avant tout ses intérêts, l’autre étant potentiellement dangereux. L’autre est une proie à dominer, à exploiter, à détruire. Il culpabilise, critique, manipule, ment. Il est un « agent double », tel Dr Jekyll & M. Hyde, charmant et sociable d’un côté, tyrannique et destructeur, de l’autre. Il prend un malin plaisir à faire souffrir l’autre sans remords, ni culpabilité. Il déstabilise en créant la confusion, il sera de mauvaise foi et utilisera des injonctions paradoxales. Tout est bon pour arriver à ses fins !

Comment se construit la personnalité perverse narcissique ?

On ne naît pas pervers narcissique, on le devient. La clinique nous dit qu’assez souvent c’est un enfant adulé par la mère, surinvesti, avec un père peu présent absent ou n’assurant pas la fonction paternelle. Ce peut être aussi un enfant délaissé vivant en marge de la famille.

Le fonctionnement pervers narcissique se construit dans le manque d’amour inconditionnel et/ou l’absence de limite dans un environnement quotidiennement empreint de manipulation.

Le manque d’amour inconditionnel conduit l’enfant à se conformer au projet parental, à rechercher un idéal de perfection et dès lors, à porter des masques pour conjurer son angoisse d’être rejeté.

Par ailleurs, « l’absence du père » combinée au manque de limites auront pour conséquence que la loi constitutive, symbolique, n’est pas intégrée ; le surmoi en tant qu’instance interdictrice ne pourra pas se secondariser. L’enfant n’arrivera pas à gérer sa frustration et deviendra un adulte tyrannique, insatisfait. Il pourra s’adonner à des conduites à risques et des actes transgressifs.

Pour survivre psychiquement à cette situation, l’enfant va projeter ce qui est mauvais en lui sur autrui et s’approprier, capter, ses qualités.

Enfin, le futur pervers narcissique a souvent subi un climat incestuel avec un parent pervers du sexe opposé. Ce climat est constitué de haine larvée, de soumission et d’envie de rébellion. Pour se protéger de cet « amour » envahissant, intrusif, fusionnel, malsain, l’enfant va se couper de ses émotions.

L’attitude éducative a induit une incertitude narcissique, une faille qui va se manifester de manière chronique par un sentiment d’insuffisance qui se compense au détriment du narcissisme des autres. L’investissement de l’imago de soi se fait au détriment de l’imago de l’autre. Cette perméabilité entre les deux implique un fonctionnement psychique archaïque. Ce fonctionnement s’appuie sur un mécanisme de défense, « l’identification projective ». Il désigne, en psychanalyse, le fait de projeter sur un objet des caractéristiques du soi pour s’y reconnaître. Chez le pervers narcissique, l’identification projective est pathologique car elle n’est pas transitoire mais est un moyen de déni de la réalité. Elle consister alors à projeter sur l’autre un contenu mental perturbant, à contrôler la personne à travers ce contenu et à la posséder, la dégrader voire l’annihiler ; les caractéristiques propres de la personne étant alors niées. Chez le pervers le moi (instance régulatrice et adaptative) est efficace alors que le soi est mal constitué. L’adaptation à la réalité, la maîtrise, sont assurés, mais sont mis au service du soi instable et la libido régressive.

Le drame de l’identification projective est qu’elle a une certaine efficience relationnelle et ce d’autant plus que la personne visée a un soi fragile. En effet l’attitude du pervers à son égard rabaisse la personne qui se sent effectivement mauvaise.

Petite précision de vocabulaire :

Le moi est notre ego : c’est ce qui nous permet de dire « je » et d’exister en tant que sujet. Par conséquent, le moi est aussi l’individu que nous croyons être. Le moi naît de la conscience de nous-mêmes. Or, notre conscience étant limitée, imparfaite et soumise à des déterminismes, le moi s’éloigne largement de notre être réel,

Pour Freud, le moi est l’instance psychique qui fait le lien entre le ça et le surmoi : une sorte de médiateur. Il est à la fois conscient et inconscient. Il met en place des stratégies et des mécanismes de défense pour trouver sa place dans la société ; il est une instance régulatrice et adaptative

Le soi est notre individualité entière, vue de manière objective. C’est donc notre être véritable ou « moi véritable ». Comment se met en place la relation d’emprise ? La relation d’emprise est rendue possible par le fait que la victime se déprend de quelque chose ; elle abandonne quelque chose d’elle-même.

La relation d’emprise se construit en 3 phases.

LA PHASE 1 : La lune de miel

Cette phase est une phase de séduction. L’objectif ici est de mettre sa future victime en confiance, de lui faire baisser la garde, de l’amener à se confier (autant de secrets révélés qui seront utilisés contre elle plus tard). Pour cela, le prédateur va se montrer sous le masque de la perfection exactement adapté aux attentes de la personne visée, par mimétisme. Le pervers narcissique dira ainsi à sa victime ce dont elle a envie (ou besoin) d’entendre. Il va se présenter comme celui qui pourra aider, sauver, accompagner la réalisation des rêves de sa future victime.

Cette phase se caractérise par la flatterie, la valorisation, l’attention et la générosité. Cette générosité n’est pas gratuite car elle met la victime en dette et celle-ci sera mise dans une situation telle qu’elle ne pourra jamais s’acquitter de cette dette d’où l’émergence d’un sentiment de culpabilité.

LA PHASE 2 : L’emprise elle-même

Il s’agit d’une phase au cours de laquelle, le prédateur va vérifier le lien de dépendance affective. Il va laisser la place au doute, aux manipulations et isoler sa victime de son entourage.

Les procédés sont les suivants : souffler le chaud et le froid, prêcher le faux pour savoir le vrai, adresser des injonctions paradoxales, créer des situations de stress et d’instabilité émotionnels, provoquer des situations d’insécurité psychique et de paranoïa réflexe, faire preuve de mauvaise foi, mentir, exprimer tout et son contraire, agir à l’opposé de ses paroles, attendre le dernier moment pour agir ou refuser d’agir, reporter ses responsabilités sur sa victime en la faisant culpabiliser, se montrer possessif, dévalorisation de la victime auprès de son entourage et dévalorisation de l’entourage auprès de la victime pour l’isoler, utiliser les autres pour faire passer ses messages à la victime, …

A cette étape, la victime va être saisie, se retrouver dans un état de stupeur et d’incompréhension ; ne reconnaissant plus la personne si attentionnée qu’elle connaissait et appréciait. Elle commence à nier ses propres besoins, trouve à l’agresseur des excuses et entre ainsi de plain-pied dans la phase d’emprise.

LA PHASE 3 : La perte de liberté

L’emprise et l’entreprise de destruction monte ici d’un cran. Le prédateur va alterner destruction et valorisation. La victime, complètement dépendante de son bourreau, se sent incapable de vivre sans lui ou de prendre la moindre décision personnelle ; elle est sous son contrôle.

Le prédateur cherche à épuiser sa proie, il jouit de la voir se débattre et lui résister. Tout est fait pour qu’elle ne puisse pas se soustraire à l’emprise. Ses ressources vitales sont siphonnées.

Cette lente et progressive mise à mort se manifeste par des manipulations, une exigence de perfection, des menaces, une négation des besoins de l’autre, un égocentrisme exacerbé, une relation de domination, une avarice maladive, la mise en cause de la santé mentale de la victime, un recours systématique aux procédés visant à créer une paranoïa réactive, la destruction de l’estime de soi de sa victime, la mise en place de stratégie d’inversion ( le prédateur fait passer la victime pour l’agresseur et se fait plaindre) et de stratégie de discrédit (le prédateur utilise son charisme pour amener le groupe à discréditer et à se moquer de la victime), …

Comment sortir de l’emprise ? Il est parfois difficile pour un observateur extérieur de comprendre pourquoi une victime reste auprès de son bourreau.

Essayons d’analyser ce qui se passe : dans la relation d’emprise, les victimes ressentent toujours un vide intérieur. Elles sont comme dépossédées d’une partie d’elles-mêmes (vitalité, énergie, joie, confiance, amour de soi, …). En fait, la relation d’emprise conduit chez la victime à un état qui s’apparente à celui de stress post-traumatique. Ainsi, pour supporter la relation toxique et ne pas sombrer dans la folie, la personne entre dans une forme de dissociation : ses pensées se séparent du reste de la personnalité et elle devient observatrice extérieure de la situation qu’elle endure.

La victime reste auprès de son bourreau parce qu’en quelque sorte, elle ne peut se résoudre à abandonner une partie d’elle-même que son agresseur s’est approprié. Cette partie manquante relève tout autant du plan psychologique que du plan spirituel (âme, énergie vitale).

Pour sortir de l’emprise, il faut à tout prix que la victime récupère la partie manquante de son âme sinon elle risque de reproduire ce type de relations toxiques (Pour plus de précisions sur la technique de « recouvrement d’âme », voir le livre de Natacha Calastrémé, « Les blessures du silence »).

Si l’on est face à une personnalité perverse narcissique, la seule issue est de fuir car cette personne est incapable de se remettre en question, d’écouter, de faire preuve d’empathie, de reconnaître ses torts, de s’excuser. Ce serait, pour elle, perdre son pouvoir. Le dialogue est impossible et la spontanéité à éviter. En effet, tout ce que la victime dit à son agresseur pourra être utilisé contre elle pour la détruire.

Cependant, avant la fuite, la 1ère étape pour sortir de la relation d’emprise est d’en prendre conscience. Sortir de la culpabilité et observer la situation avec recul et lucidité. Si la fuite est toujours salutaire, il n’est pas toujours possible de le faire, une fois la prise de conscience réalisée. On pourra alors utiliser des stratégies d’évitement et des stratégies de protection telles que : ne rien confier de personnel, ne pas partager ses émotions, ses doutes, ses difficultés, répondre le plus possible avec détachement et indifférence, répondre de façon évasive, ne pas s’engager, ne pas s’isoler avec la personne, obtenir et conserver des preuves écrites de ses agissements, alerter, parler de ce que l’on vit avec des personnes de confiance, obtenir des témoignages concordants. On pourra également utiliser des techniques pour contrer la manipulation.

Dans son livre « Le décodeur des pervers narcissiques », Hélène Gest-Drouard propose 10 phrases que l’on peut apprendre par cœur pour pouvoir répondre du tac au tac sans se laisser déstabiliser.

« Tout le monde ne pense pas comme toi ! » « C’est votre opinion »

« Si vous le dites ! »

« Chacun ses goûts »

« Cela fait mon charme ! »

« Nul n’est parfait, n’est-ce pas ! »

« Ne vous inquiétez pas pour moi ! »

« J’ai la conscience tranquille ! »

« Nous ne connaissons pas les mêmes ˝on˝. »

« Que voulez-vous dire par là ? »

En parallèle, il est essentiel d’entreprendre un travail de réparation, de reconstruction tant sur le plan personnel que relationnel, voire de reconquête de soi. A cette fin, l’aide spécialisée d’un thérapeute, psychologue, psychiatre sera nécessaire.

Sortir de la culpabilité et aller vers la responsabilité (répondre de …) Arrêter d’investir « l’empreneur » Retrouver le chemin vers soi-même, clarifier ses besoins et ses désirs Cet accompagnement doit vous permettre de questionner vos peurs (« De quoi ai-je peur ? ») et de comprendre votre dépendance (« Quelle qualité ai-je cru devoir posséder pour être aimé de mes parents ? ») pour apprendre à se donner à soi-même ce que l’on cherchait chez l’autre. Vous devrez également accepter que votre bourreau ne peut pas guérir et ne changera pas. Chercher à le comprendre, à l’excuser, à le pardonner ne fera que maintenir la relation d’emprise et sera vain. Restaurer l’estime de soi sera un point de passage obligé. Se connaître, s’aimé, avoir confiance dans ses qualités et accepter points faibles, affirmer dans ses besoins, poser des limites, retrouver le chemin de sa voix intérieure, de ses envies, de ses intuitions, renouer avec ses amis, sa famille, seront autant d’atout pour vous affranchir à jamais de ces relation toxiques (Voir à ce sujet l’ouvrage que j’ai écrit en 2017 et réédité en 2019 « Le petit livre de l’estime de soi »).

Mariette Strub-Delain

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